Le tire-bouchon, voilà un objet que tout le monde utilise sans se poser de questions. Pourtant cet allié de la dive bouteille est porteur d’une histoire séculaire qui débute à la fin du xviie siècle en Angleterre, lorsque l’utilisation de bouteilles de verre, fermées par des bouchons de liège, se généralise pour conserver toutes sortes de liquides ; vins, bières, parfums... Dès lors, l’invention d’un instrument pour les déboucher devient nécessaire : c’est la naissance du tire-bouchon, vraisemblablement inspiré de la mèche vrillée du tire-bourre jusque-là utilisée pour nettoyer le canon des armes à feu.
Simple, souvent banal et avant tout usuel, cet accessoire du vin n’a eu de cesse d’évoluer pour être parfois une véritable œuvre d’art, tant et si bien qu’il est entré dans le cercle honorable des objets à collectionner. Yves Rousset-Rouard, producteur de films - et de vins - fait partie de ces collectionneurs ou plutôt de ces pomelkophiles (poma : bouchon, elken : tirer, philo : j’aime). Pour lui, tout a commencé lors d’une vente à Drouot, où il a acquis une centaine de tire-bouchons, une petite collection qu’il s’est ensuite amusé à enrichir. Le virus du collectionneur l’ayant saisi, il se prend au jeu et réussit à dénicher de superbes pièces datant des xviiie et xixe siècles. En 1991, il a ouvert le musée du tire-bouchon dans son domaine de la Citadelle, à Ménerbes dans le Vaucluse. Les 1 100 objets présentés sont classés en fonction de leur date de création et de leur pays d’origine.
Tire-bouchon simple et tire-bouchon multifonctions
Le tire-bouchon simple ou le tire-bouchon en T est le plus ancien, mais aussi le plus courant. Il permet l’extraction du bouchon par une traction manuelle. Son manche doit fournir une résistance adéquate. Il est, par conséquent, fabriqué avec des matériaux solides comme la corne, l’os, le métal ou encore le bois.
A partir du xviiie siècle, on lui ajoute volontiers des accessoires. L’éperon brise cire, la brosse et le décapsuleur sont les plus fréquents. Et à la fin de cette pé-riode, le tire-bouchon est associé à divers instruments considérés de prime nécessité : bourre-pipe, poinçon à cuir, passe-laçet, par exemple. Il devient alors un objet multifonction qui trouve sa place dans les nécessaires de voyage, avec des couverts de table. Sous l’effet de l’évolution des habitudes de consommation on l’associe même avec des ustensiles en rapport direct avec la consommation de boissons, le décapsuleur, par exemple.
Des modèles plus rares datent de cette époque, ce sont les ouvre-bouteilles Codd qui servaient à ouvrir des bouteilles fermées par une bille de verre logée dans leur goulot. En 1876, un Américain met au point une machine qui permet de produire en série des tire-bouchons à partir d’une seule pièce d’acier, spiralée. Cette invention est primée lors de l’exposition universelle de Paris en 1878. Bon marché, ces tire-bouchons remportent un grand succès commercial car ils sont utilisés comme supports publicitaires dans le monde entier.
Inventions de mécanisme
Comment soulager l’effort nécessaire à l’extraction du bouchon ? Pour atteindre ce but, l’homme a tenté d’inventer des mécanismes toujours plus performants, s’ou-vre alors une extraordinaire ère d’inventions avec des brevets déposés dans de nombreux pays. Le premier de ces mécanismes remonte au xviiie, il s’agit d’une pièce de métal fixée au fût et appelée cloche ou cage. Ajustée sur le col de la bouteille, cette pièce fournit un point d’appui qui, lorsque l’utilisateur tourne la poignée, agit comme un repoussoir et permet d’extraire automatiquement le bouchon. Simple et efficace, ce système a été reproduit pendant très longtemps. C’est au xixe siècle que la manufacture française Pérille propose son célèbre Diamant, un tire-bouchon nommé ainsi en raison de sa molette à facettes tandis qu’en Allemagne, le modèle à cage est amélioré par l’ajout de gadgets sophistiqués comme le fût à ressort et la cloche en ressort à boudin.
Les tire-bouchons à levier présentent un autre procédé : la progression de la mèche à l’intérieur du liège provoque le soulèvement du ou des levier(s) qu’il suffit ensuite de pousser pour extraire le bouchon. Les premiers exemplaires de ce type sont à levier unique, ils font leur apparition officielle en 1864 avec le Royal Club de Charles Hull. Sur le même principe, de nombreuses pièces sont ensuite commercialisées avec des leviers aux formes variées. Entre la fin du xixe siècle et le début du xxe, Pérille fabrique quelques modèles célèbres tels Le Presto et L’Express avec un exemplaire à tête de chien. Le tire-bouchon à double levier sortant de la manufacture Heeley and Sons (sous la marque A1 double lever) est l’ancêtre des pièces appelées en France des
De Gaulle, en référence au chef d’État qui fut souvent caricaturé avec les bras levés.
Autre type, les tire-bouchons à pignon et crémaillère sont conçus par des artisans italiens. Ils sont munis d’un manche latéral qui sert à faire remonter la mèche une fois que celle-ci a pénétré dans le bouchon. Il existe aussi des modèles avec un système à vis qui permet de transformer le mouvement de rotation de la mèche en un déplacement vertical qui provoque l’extraction du bouchon. Dans cette catégorie, le modèle le plus exceptionnel est le Thomason, breveté en 1802 et qui porte l’inscription “Nec plus ultra”.
Décoratifs et véritables œuvres d’art
Dans la seconde moitié du xviiie siècle, le tire-bouchon n’est plus simplement fonctionnel, il devient décoratif, voire même figuratif. Les artisans donnent libre cours à leur fantaisie créa-trice avec des thèmes variés :
l’érotisme, les animaux et les sujets en rapport avec la boisson, par exemple. C’est également à cette période que les manches des tire-bouchons s’ornent de grappes de raisin, de feuilles de vigne et autres motifs végétaux, ou sont à l’effigie de divinités bachiques.
Enfin, le tire-bouchon fait figure d’objet précieux dès la fin du xviie siècle. On ne lésine pas sur l’utilisation de matériaux précieux. L’or, la nacre ou encore l’ivoire, par exemple, sont employés en France, en Angleterre et en Hollande pour façonner de très belles pièces, remarquables par la finesse de leur production. Ces “bijoux” sont souvent gravés des initiales de leur riche propriétaire ou en portent le sceau. Des tire-bouchons à parfum et des fabrications hollandaises en argent, avec un manche sculpté dans un style baroque, sont de véritables œuvres d’art représentant souvent un animal ou un personnage qui illustre bien le savoir-faire d’artisans joailliers. Au xxe siècle, cette tendance esthétique se perpétue avec des entreprises du secteur du luxe comme Bulgari ou Cartier, qui ont fait de ce type de tire-bouchons l’un de leurs ambassadeurs les plus raffinés.
Les curieux comme les collectionneurs prendront plaisir à visiter ce musée original, qui permet, avec un voyage dans le temps, de découvrir ce que des serruriers, des forgerons et des orfèvres ont inventé pour pouvoir céder au plaisir de la dégustation.
S.Daniel